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Pierre-Luc Morin, charpentier de marine
Par Nathalie Le Coz
Au fond du village du Bic, dans une baisseur passé l’église, accrochés aux roches des berges de la rivière qui dévale vers le fleuve, deux moulins croches se dressent à l’ombre de grands arbres. La cour est pleine du bruit du torrent et des coques et carcasses de bateaux. Un dériveur qui a manqué d’amour pendant un temps, un canot de cèdre sauvé de l’opprobre de la boîte à fleurs, un hors-bord des années 1960, impeccable, aux flancs plaqués d’acajou, une chaloupe Verchères flambant neuve, et un doris redessiné. Cet hybride élancé et rapide, créé sur place, notre hôte Pierre-Luc Morin l’a affectueusement baptisé « la St-Pierre ».
Ce patronyme est celui de Daniel, le maître chaloupier de Pierre-Luc, à qui il a enseigné un métier en voie de disparition qu’ils exercent ensemble depuis maintenant 14 ans. Pierre-Luc a abouti là comme apprenti en sortant de l’école d’ébénisterie de Victoriaville. La relation entre Daniel et Pierre-Luc semble aussi serrée qu’un treillis de kevlar, comme le furent celles des apprentis et compagnons depuis le Moyen-Âge. Une relation qui se situe entre admiration, filiation et amitié, et par laquelle passe la transmission d’un savoir-faire unique, flanqué d’un cortège de valeurs.
« Daniel joue de plus en plus le rôle de conseiller technique avec son savoir irremplaçable. Je travaille sous son regard.»
Pierre-Luc habite à deux minutes de là. Les deux premières années, il logeait au deuxième étage d’un des moulins qu’il adore. Volontiers, il fait visiter les soubassements de ces constructions anciennes et s’extasie devant le génie des turbines et des systèmes d’engrenage qui actionnaient les meules et les scies. Ces dinosaures étaient les plus en amont sur la rivière du Bic. À une autre époque, il y avait, en aval, d’autres moulins à farine et à carder.
Autour d’un tel complexe industriel a vécu une communauté « qui aurait pu annexer Rimouski », dit Pierre-Luc en esquissant un sourire. Abritée des vents et des turpitudes du large, l’anse du Bic attirait au village les familles de pêcheurs, de gardiens de phare, de pilotes qui embarquaient sur les cargos pour assurer la difficile remontée du fleuve jusqu’à Montréal. Aujourd’hui, les Bicois ne sont pas très nombreux, mais ils se tiennent pour que leur village vive en beauté.
Comme tout bon artisan, quand il s’agit du métier et des valeurs du métier, Pierre-Luc est fier et critique. En tant que charpentier de marine, il est conscient qu’il manque encore une corde à son arc, puisqu’il manque de temps pour naviguer et tester ses modèles de fabrication. Durant la belle saison, les commandes sont nombreuses et il faut souvent se déplacer à la marina de Rimouski-Est.
« Faudrait que je me mette au canot à glace ! », lance Pierre-Luc.
Cette modestie cache une vision affirmée du métier d’artisan. « Il n’y a pas de cadre pour nous. » Les artisans étant « fabricants », on veut légalement les caser en zonage industriel. Or, ils vendent au détail, ont besoin du contact avec leur clientèle et préfèrent demeurer proches de leur habitation, de leurs concitoyens.
« Les enfants traversent notre cour en revenant de l’école, raconte Pierre-Luc. Ils viennent flatter les chats. »
Il apparaît évident que les chaloupiers, qui tiennent tant à vivre au cœur de leur communauté, contribuent à lui donner sa couleur. Au-delà du folklore, ils sont un peu des gardiens de l’Histoire, en tant que dépositaires des savoirs ancestraux de la construction marine. De l’histoire du Bic, aussi — que Pierre-Luc aime à conter dans l’antre de ses moulins, ou encore au belvédère du Mont Saint-Louis qui domine le village, l’anse et son archipel.
« Viens me voir. Je vais m’occuper de toi ! »
Ayant lui-même profité du couchsurfing lorsqu’il a parcouru le pays, il sait que, pour bien voyager, il faut parler avec les « locaux ». Créer des liens avec eux. Écouter leurs mille anecdotes — révélatrices ou simplement savoureuses.
Il y a un classique pour rencontrer les Bicois par une fin de semaine ensoleillée : une balade à la Pointe-aux-Anglais. Après avoir longé la rive est de la baie et s’être extasié sur la majesté des caps en forme de vagues qui défient le fleuve, on emprunte un sentier qui s’enfonce dans une forêt basse, ponctué de points de vue sur l’immensité et la beauté sauvage de l’estuaire. À l’inverse, les Bicois sont plutôt accueillants…
En rentrant au village, on va chercher son pain et ses viennoiseries chez Folles Farines. On troque l’odeur de varech pour celle, tout aussi enivrante, qui jaillit des fours de cette excellente boulangerie.
En traversant la place de l’église, difficile de résister aux fumets de la Cantine Côtière tenue par Colombe St-Pierre, cheffe accomplie qui s’approvisionne auprès des pêcheurs, agriculteurs et maraîchers locaux.
Le lendemain, Pierre-Luc propose une randonnée au Canyon des Portes de l’Enfer de la rivière Rimouski, qu’on remonte en direction de Saint-Narcisse. Il apprécie la simplicité des aménagements qui se laissent oublier, sans rien gâcher de la magnificence naturelle des lieux. Une passerelle et de vertigineux escaliers, faits de cèdre bûché sur place, permettent d’explorer la profondeur d’un des plus beaux canyons du Québec. Il y a aussi l’Hommage aux draveurs : une exposition en plein air qui retrace l’histoire de ces valeureux forestiers. Sont gravés là les noms de tous ceux qui, jusque dans les années 1980, ont travaillé sur cette rivière qui devient furieuse au printemps. Un mot-clé touristique pour décrire ce lieu ? « Il n’y en a pas, dit Pierre-Luc. Il y a juste une intention de lui donner une échelle humaine. »