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Julien Verret, maroquinier
Par Nathalie Le Coz
On entre de plain-pied dans la boutique V Cuir, à l’est du village de Saint-André de Kamouraska, du côté de l’aboiteau. Il règne là quelque chose d’apaisant. Est-ce l’odeur du cuir? Ou est-ce plutôt la personnalité de Julien Verret ? Ce jeune homme posé s’est associé à son père Jean, qui tenait atelier et boutique à Saint-Romuald, près de Québec, depuis 1991. Une envie de préretraite et de changement d’environnement avait amené là le père; le fils a suivi ses traces en 2012. Julien a troqué ses études universitaires en philosophie politique pour un DEP en maroquinerie à Neufchâtel. Tel un « enfant de la balle », cette formation lui a paru facile puisque sa mère évoluait en design de mode. Rapidement, il a conçu ses premières créations : sacs de voyage, trousses de toilette, sacs d’ordinateur, sacs à main, sac à dos urbains, sacs manchon, portefeuilles et tutti quanti. Cet ancrage dans l’utilitaire, le maroquinier l’assume entièrement. À part quelques touches funky, ses formes et ses lignes sont plutôt classiques. Logeables, solides, légères, ses créations sont pensées pour un usage intensif. Julien ne dessine que des sacs qu’il aimerait porter lui-même.
On aperçoit bientôt l’atelier derrière les étagères chargées de la boutique. Trois machines à coudre, montées chacune avec une couleur de fil, divisent cet espace labyrinthique où somnole un vieux chien timide. D’autres machines et établis referment l’atelier autour d’un nombre de pas réduit au minimum pour aller de l’un à l’autre. Aux murs, des dizaines de cadres de métal numérotés, ressemblant étrangement à des Traction Aids… Il s’agit d’emporte-pièces servant à découper proprement les pièces de cuir d’une petite série en production, comme des biscuits dans une abaisse de pâte. Julien et son père produisent de front une trentaine de modèles de sacs. Ils en créent trois ou quatre nouveaux par année, et en délaissent le même nombre.
Ils travaillent à l’européenne plutôt qu’à l’américaine : le cuir est aminci aux coutures pour éviter les bourrelets, les coutures sont renversées, la finition et les doublures, impeccables. Le père de Julien aime bien travailler les cuirs embossés et imprimés en provenance d’Italie. Julien préfère les cuirs unis. Quinze pour cent de son approvisionnement provient de la Tannerie des Ruisseaux, seule et unique entreprise québécoise du genre encore en opération, située à Saint-Pascal de Kamouraska. On y tanne et colore des cuirs de vache, robustes, que Julien aime bien associer à des cuirs plus souples importés des États-Unis, du Brésil ou d’Europe.
À la question : « Pourquoi le cuir, en ces temps agités où l’on fait la chasse à la cruauté animale ? », Julien, impassible, répond d’abord que le cuir végane est fait de polyuréthane ou de polypropylène, des sous-produits du pétrole. Il rappelle ensuite qu’on n’élève pas les vaches pour leur cuir : recueillir et utiliser les peaux des vaches de l’industrie alimentaire revient aujourd’hui à pratiquer la valorisation des déchets, puisque la plupart de ces peaux sont jetées. Il ajoute enfin que le cuir est beaucoup plus durable que toutes ses imitations synthétiques. Se procurer un sac en cuir, c’est « acheter moins, acheter mieux ». Comme quoi le philosophe politique en lui n’est jamais bien loin !
Julien aime son patelin d’adoption. Juste derrière chez lui, il s’engage dans le sentier qui domine la digue sur des kilomètres pour humer l’estuaire. Par temps chaud, il va se baigner à la petite plage de Notre-Dame-du-Portage, attenante au quai. Il affectionne aussi les virées aux Sept-Chutes sur la rivière Kamouraska, à Saint-Pascal. Ces escapades lui donnent l’élan du retour à l’atelier, où il prépare les salons de métiers d’art qui attendent sa production à l’automne.
Saint-André-de-Kamouraska